jean-paul-sartre-à-new-york
Jean-Paul Sartre avait un beau style parce que, dans son académisme foncier, il trouvait le moyen de se décaler, par l'humour, l'ironie, la satire et les images choquantes, ténébreuses et tendant à un fantastique à la Lovecraft. Mais il était parfois plus lyrique, notamment quand il voyageait, il aimait chanter les génies des lieux, et ne laissait pas de les lier au divin, même s'il se défendait, officiellement, de croire en Dieu. Il y avait encore là quelque chose qui le reliait à Lovecraft, puissant auteur de récits de voyage, dans lesquels son lyrisme et même son mysticisme s'exprimaient librement, au-delà des doctrines affichées.
Dans un texte tiré de Situation III Sartre a évoqué son amour pour New York, où Albert Camus l'avait envoyé en qualité de journaliste. Il fait l'éloge de la métropole américaine parce que ses formes géométriques la mettent en relation avec l'esprit de l'univers, dit-il, avec le mathématisme cosmique. C'est très bien vu, il a saisi quelque chose qu'on observe réellement aux États-Unis et à New York, mais aussi dans la science-fiction la plus intelligente, se projetant, comme chez Isaac Asimov, dans des futurs plus rationalisés. Il l'a saisi consciemment, en même temps qu’intuitivement.
Le plus beau est en effet que cela ne passe pas par de prosaïques raisonnements, des mises en relation purement intellectuelles, mais par des images qui relèvent au fond du religieux, car il évoque le ciel de la ville à la façon d'un « Gardien »: il s'agit bien de l'ange protecteur de la Cité. Et il oppose cette divinité tutélaire à celles des cités européennes. Le ciel de celles-ci, affirme-t-il, est domestiqué. Au fond, il ressemble à ces statues de saints des églises catholiques qu'en tant que protestant, Sartre devait abhorrer. Il ressemble à ces statues d'anges de l'art baroque, gentils et potelés, mais manquant de noblesse, et de grandeur.
Le ciel de New York - repoussé, rappelle-t-il, par la hauteur des gratte-ciel -, est sauvage, indompté, c'est celui du monde entier, de l'univers même. Il se situe à une hauteur prodigieuse et touche à Dieu même – au dieu unique et mathématique de la philosophie des Lumières et, jusqu'à un certain point, de la Bible: c'est, au-delà des divinités païennes - entités protectrices locales et restreintes -, le « vrai Dieu ».
New York en est secrètement issue, avec son plan quadrillé, son organisation rigoureuse. Alors que les villes européennes conservent leur lien avec le monde végétal et sa dispersion spontanée, cette ville américaine est matérialisation de la raison pure. Elle émane des lignes que tracent les étoiles – plus forte en cela que les jardins à la française eux-mêmes, puisqu'il ne s'agit plus d'un Olympe réservé à un roi, mais d'une cité qui intègre tout un peuple.
En ce sens, elle est la ville d'avenir par excellence, celle où les rêves futuristes peuvent trouver une butée, celle qui peut donner le sentiment que l'âge d'or à venir se réalise, et que le messie attendu va y apparaître. Le super-héros Superman est la cristallisation de son air. Il a surgi dans la brume dans laquelle, dit Sartre, se perdent au loin les buildings – au bout des falaises formées par les artères –, et il est venu dans la lumière de la ville. Il s'y est épaissi au regard intérieur des artistes, qui étaient des voyants. Dans ses aventures dessinées, New York prend significativement le nom de Metropolis!
C'est, je crois, ce que Sartre a intuitivement senti. Il avait un certain génie.
https://remimogenet.blog.tdg.ch/archive/2017/01/19/jean-paul-sartre-a-new-york-281517.html
Texte de Rémi Mogenet reconditionné par Sylvain Leser
? Y a des bonus de Pâques...
je voulais mettre celle-ci qui tombait bien après mes images de NY,
entre les bonus, mais Disney a bloqué la vidéo pour droits d'auteurs : https://www.youtube.com/watch?v=S1zFzQbFbpA&t=125s
...
https://www.youtube.com/watch?v=BmGVC_0NweQ
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