Professeur Nagara : Ce qui nous intéresse, c'est la capacité d'obéissance de M. Despols, sa soumission à l'autorité. L'autorité pour M. Despols, c'est le cadre de cette université, le professeur Flavius, moi-même, et nos blouses blanches, qui sont les symboles de cette autorité. Nous venons de lui imposer un code de punition à infliger à une victime qui ne lui a rien fait. Jusqu'où va-t-il obéir à cette ordre imbécile et révoltant, que nous venons de lui donner ? Tout le problème, est là. A un certain moment, M. Despols devra affronter un problème : d'un côté sa soumission à l'autorité, exécuter la mission qui lui a été confiée, de l'autre, sa répugnance à faire souffrir sa victime. Il va être progressivement secoué par un conflit intérieur presque insoutenable. Pour se tirer de cette situation, il devra rompre avec l'autorité et désobéir. C'est l'instant de cette rupture que nous étudions. ... Procureur Volney : Dans un pays civilisé, démocratique et libéral, les deux tiers de la population sont capables d'exécuter n'importe quel ordre venant d'une autorité supérieure. Mais, dans le cas d'un génocide, par exemple, quand un tyran décide de tuer froidement 5, 6 millions d'hommes, de femmes, d'enfants, il lui faut au moins un million de complices, de tueurs, d'exécuteurs ! Comment arrive-t-il à se faire obéir ? Professeur Nagara : En morcelant les responsabilités. Un tyran a besoin avant tout d'un État tyran. Alors il va recruter un million de petits tyrans fonctionnaires, qui auront chacun une tâche banale à exécuter. Et chacun va exécuter cette tâche, avec compétence, et sans remords. Car personne ne se rendra compte, qu'il est tel millionième maillon de l'acte final. Les uns vont arrêter les victimes. Ils n'auront commis que de simples arrestations. D'autres vont conduire ces victimes dans des camps. Ils n'auront fait que leur métier de mécanicien de locomotives. Et l'administrateur du camp en ouvrant ses portes, n'aura fait que son devoir de directeur de prison. Bien entendu on n'utilise que les individus les plus cruels dans la violence finale. Mais à tous les maillons de la chaîne, on a rendu l'obéissance confortable. Procureur : Ce qu'il y a de plus surprenant chez tous vos sujets, c'est qu'ils agissent, sans haine, sans colère, sans le moindre esprit de vengeance. Sans espoir même d'un salaire confortable. Car enfin, ils n'ont pas envoyé 450 volts pour gagner les 6 dollars de l'expérience. Professeur : L'argent n'a rien à voir là-dedans. Ils obéissent à une autorité lorsqu'ils la respectent et qu'ils l'acceptent. C'est tout.